Malgré la garantie de l’Etat dans ces prêts débloqués pour faire face à la crise sanitaire, les banques pourront être contraintes de mobiliser leurs fonds propres dans le futur. La crise qui continue et met en danger de plus en plus de petites entreprises invite à réinventer les systèmes de notation et d’octroi des crédits pour ne pas discriminer les structures modestes et déjà fragilisées.
Qu’elles optent ou non pour une prorogation d’un an supplémentaire de leurs paiements, les entreprises ayant souscrit à un prêt garanti par l’état (PGE) vont bientôt se retrouver avec des charges supplémentaires. Le dispositif mis en place par le gouvernement français en mars dernier a permis à de nombreuses TPE et PME de garder la tête hors de l’eau, en leur permettant de bénéficier d’une avance de trésorerie. Mais alors que l’heure du remboursement approche, il revient aux banques de changer leurs procédés d’évaluation.
Rappelons que sur les 300 milliards d’euros débloqués par l’Etat, environ 120 ont été distribués par les banques, en priorité aux petites et moyennes entreprises qui bénéficient de 78% de ce montant. Pour certaines d’entre elles, ces prêts ont été perçus comme une ligne de trésorerie déblocable au besoin ; d’autres n’ont pas encore touché à la somme. Celles-ci présentent peu de danger pour les banques. Ce sont les entreprises qui risquent de se retrouver en défaut de paiement, et la quantité de dossiers à suivre, qui vont poser un problème dans les mois à venir.
Un système de notation inadapté
Actuellement, les entreprises fournissent chaque année leurs bilans officiels dont les banques se servent comme d’un support de notation. Celles qui utilisent un dispositif de notation interne dans le cadre de la réglementation bâloise calculent leurs fonds propres à partir de cette note. Avec le remboursement des PGE, trois difficultés vont émerger :
- Les notes internes ne seront plus représentatives de la santé de l’entreprise face à la crise ! En effet, comment calculer une note exacte sur la base des déclarations fiscales de 2019 et 2020, alors que les règles encadrant les PGE changent et que la crise continue ? En outre, dans les systèmes de cotation, la note financière compte pour 80 % de la note de contrepartie. Les éléments financiers actuels étant difficiles à interpréter, ces deux indicateurs perdent de leur sens et les fonds propres des banques pourraient ne plus être en adéquation avec la réalité. Il est à noter que 4 entreprises sur 5 ayant bénéficié d’un PGE (soit 30% du total des PGE, pour un encours de 35 Md€) ne font l’objet d’aucune note de crédit Banque de France.
- Une dégradation des notes internes est en vue, qui aura pour conséquence l’augmentation des fonds propres nécessaires au bon fonctionnement des banques. Ainsi, l’attribution et les coûts du crédit vont évoluer. Les banques vont insister sur la réduction de leurs prises de risques, en augmentant le coût du crédit ou en en limitant l’octroi. Dans les deux cas, cela risque d’aggraver la situation des entreprises déjà en difficulté : seules les plus solides pourraient se voir accorder des prêts, au détriment de celles qui en ont le plus besoin pour se reconstruire.
- Les établissements bancaires ayant accordé des PGE font face au risque client maximal. La garantie de l’Etat ne couvre pas tout le prêt, et au moins 10 % de la somme reste à leur charge. Malgré les marges faibles (voire inexistantes) et un recouvrement onéreux lié notamment au nombre de dossiers (plus de 585 000 dossiers actuellement !), les banques devront assumer le coût des ressources humaines, techniques et financières nécessaires à la bonne gestion de la situation. En outre, le risque ne portera pas seulement sur le PGE, mais sur l’ensemble de la contrepartie et il sera nécessaire de disposer d’une vue globale des risques, pouvant inclure les autres crédits en cours, la situation des garanties, les positions dans d’autres établissements…
Augmenter la périodicité d’analyse et de notation
Dans le contexte actuel, les données financières annuelles ne sont pas suffisantes, car beaucoup d’entreprises risquent de disparaître dans les mois qui viennent. Il convient donc d’augmenter de manière significative les critères extra-financiers (critères qualitatifs, comportementaux…) à prendre en compte dans la notation.
Pour gagner en flexibilité, et en précision, il s’agit également de calculer plus souvent cette note afin d’être au plus près de la santé de l’entreprise. Cela implique de trouver davantage de sources de données et d’être en mesure de les traiter rapidement. Dans l’idéal, il faudrait pouvoir consulter et obtenir les comptes de l’entreprise plus fréquemment, mais cela se heurte à une contrainte : un coût pour les entreprises et pour les banques, qui devront être capables de fournir et de traiter cette masse d’informations.
Allonger les projections financières
De nombreuses entreprises cumulent plusieurs dispositifs d’aide, ce qui engendrera un embouteillage des charges au moment du remboursement, avant même que le chiffre d’affaires ne soit revenu à la normale.
Il s’agit donc de faire des projections financières sur plusieurs années pour mesurer si l’entreprise est viable dans le temps et à quelle date elle risque de faire défaut. Cela passe par la mise en place de score crédit : plutôt que d’utiliser des notes de contrepartie basées sur des éléments financiers passés, les banques doivent aussi tenir compte d’éléments présents et futurs.
Adapter les dispositifs de surveillance, modifier les systèmes de notation en prenant en compte les projections et des éléments qualitatifs, augmenter sérieusement la périodicité d’analyse et de notation… Tout cela demande des logiciels adaptés, facilement et rapidement configurables, pour ajuster les méthodologies à une situation inédite. Cette connexion à de multiples sources d’informations favorise à terme la prévention des défaillances, le tout de manière automatisée.